
Non, vous ne révez pas! Je suis tout en blanc pour rentrer dans mon premier temple - du moins le premier de ce troisème séjour en Inde. A l’opposé de nos constructions occidentales de cathédrales ou de mosquées qui enclosent un espace libre, ici le temple suggère de toute sa hauteur la forme de la montagne sur laquelle séjournent les dieux. Les différentes images sculptées sur les parois représentent les êtres multiples, séjournant sur ce mont sacré. C’est un résumé de l’univers d’où cette variété de flore, de faune et d’êtres fantasmagoriques de toutes les couleurs, mêlés aux humains et aux dieux.
A chaque fois que je visite un temple (et plus particulièrement en Inde du sud) j'ai une impression de bruit et d'agitation, mais pas de recueillement ni de chuchotement comme dans une église. Les gens s'installent dans tous les coins, assis tranquillement au sol, ou vaquant à leurs occupations. Ils parlent, mangent et laissent leurs enfants courir un peu partout. Mais cela c'est "à l'extérieur", pas dans le sanctuaire.
Ne comptez surtout pas sur moi pour vous faire un cours sur les divinités indiennes car il y a presqu'autant de dieux, du moins de leurs avatars, que de villages en Inde... Je ne sais si j'arriverai à m'y retrouver un jour. Regardez la photo prise dans UN des coins du temple: je n'ai même pas pu compter le nombre de statues représentant toutes des dieux différents. Alors pour le moment je vais juste essayer vous décrire ce que je ressens lorsque je pénètre dans ces lieux plein d'énergie de prières.
L’obscurité qui règne dans le sactuaire où réside l’emblème divin, l’épaisseur des murs qui l’entourent et l'absence du moindre courant d'air contribuent à isoler le « principe éternel » du reste du monde et à le protéger des influences maléfiques du monde extérieur. Il y fait chaud et moite. L'air est tellement épais que pendant que je marche je dois faire attention à inspirer profondément, comme si le fluide qui pénètre dans mes poumons avait sa propre vie et tendait à ne pas pénétrer mon corps. Le temple est à la fois la demeure et le corps de la divinité. On est loin des cathédrales qui ne sont que des lieux où se rassemblent les fidèles ! Seul le prêtre pénètre dans le sanctuaire pour y accomplir la "puja" ce qui explique l’accumulation de sculptures sur les soubassements, destinés à impressionner fortement les fidèles qui attendent son retour. Les êtres bizarres, les humains et les animaux qui sont sculptés sur les murs sont probablement des représentations des anciens sacrifices pratiqués sur l’autel védique.



Les pûjâ quotidiennes sont menées plusieurs fois par jour dans les temples en l'honneur des divinités. Elles comportent en particulier l'âratî, offrande du feu à la divinité, accompagnée de mantra. Le rituel complet de la pûjâ comprend normalement dix-sept étapes. Théoriquement. Je rigole. Vous allez voir pourquoi.
Quelqu'un dans une salle frappe un gong. Cela annonce le début d'une pûjâ. Je me glisse parmi les membres d'une famille dont les femmes portent des thalis, plateaux de fer sur lesquels sont posées des offrandes. Ce sont en gros toujours les mêmes: noix de coco, eau, encens, fruits... Devant l'entrée du temple des petites échopes vendent des plateaux à pûjà dont les prix varient de 20 à 500 roupies. Sûr que si j'offre au prêtre un plateau à 500 roupies, j'aurais une darshan (vision) de l'image divine (mûrti) plus intense que pour 20 roupies!
Nous rentrons dans un couloir en file indienne (no comment) le long de vieilles barrières de métal. L'air s'épaissit. Nous arrivons devant la porte du sactuaire où un prêtre brahmane, en longui, prend les plateaux, allume les lampes à huile et porte le tout à l'intérieur de la petite salle du sanctuaire. La pûjâ est supposée être une longue suite de présentations de la flamme des lampes devant la divinité, de mantra psalmodiés sur un rythme rapide, d'aspersions d'eau, d'eau de coco, de lait sur la forme divine, le tout accompagné de cloches, gongs ou autres instruments dont il semble que le but soit de faire le plus de bruit possible, pour éveiller la divinité et s'assurer de son regard bienveillant sur les gens rassemblés. Mais celui que je vois faire, doit être doué de pouvoirs surnaturels car - je vous rappelle que le rituel complet de la pûjâ comprend normalement dix-sept étapes - il se contente de faire un petit tour de moins d'une minute autour de la divinité et revient tout guilleret avec les plateaux. Ce qui me sidère c'est une fois de plus l'incohérence entre ce qui est enseigné et la réalité de ce qui est pratiqué par les "hommes de Dieu". L'hindouisme de nos jours est avant tout une religion du rite. La stricte et précise application du rite est absolument requise : elle seule est garante de l' "efficacité" de la pratique religieuse. C'est pourquoi la réalisation du rite est confiée aux spécialistes que sont ces brahmanes, dûment formés pendant de nombreuses années. La non-observation du rite ou son exécution erronée sont, par conséquent, théoriquement considérés comme susceptibles d'entraîner de grands désordres dans l'ordre du monde. Alors avec mon analyse rationnelle occidentale de ce concept, je conclus qu'il s'agit d'une imposture des brahmanes pour conforter leur suprématie sur les autres couches de la société; mais en réalité qui suis je pour juger ? La famille est heureuse. Chacun donne de l'argent lorsque le prêtre leur met de la poudre blanche et rouge et sur le front. Un des brahmanes me fait signe d'avancer alors je sors moi aussi ma petite pièce et j'ai droit à mon barbouillage. En plus il pose dans la paume de ma main un bout de papier journal plié en accordéon et des petits bonbons en sucre blanc. J'ai l'air de ne pas prendre tout cela très au sérieux mais c'est faux. Là encore je suis partagée entre l'énergie immense contenue dans ces lieux de prières et ce qu'en font les prêtres, un business. Des larmes coulent de mes yeux sans que je sache très bien pourquoi, et je serre très fort le bout de papier journal que je me promets de garder avec moi. Comme un griri africain ou une image sainte.

Je ruisselle de sueur et j'étouffe. Il faut que je sorte. Lorsque je me retrouve à l'air libre, je suis un peu perdue et j'ai besoin de reprendre mes esprits. Je repère un petit coin tranquille et je vais m'y charger de l'énergie naturelle du lieu. Sans le "buffer" (mémoire tampon) brahmanique. Et là, en touchant de mon front la pierre usée par tant de mains confiantes, je reviens à la réalité.

En levant les yeux je vois un gana, personnage bouffi matérialisant la force aérienne de la respiration qui semble soutenir et emporter dans son souffle la partie supérieure de la façade du temple. Il me fait un clin d'oeil. Je lui souris. Et je repars me promener dans ce labyrinthe.

Dans la chaleur de cette fin d'après-midi, je me dirige vers un petit jardin, situé dans l'enceinte du temple. Quelques bancs en pierre abritent des couples de jeunes indiens, venus là pour se découvrir, se parler, se frôler... Je profite de l'ombre d'un immense banian pour m'asseoir et penser aux évènements qui m'ont conduite dans ce lieu étrange. Je suis au pied de "l'arbre à mariage", et chacun des fils qui entoure son tronc a été mis par une femme (et pourquoi pas un homme) qui rêvait de rencontrer l'amour. L'air est doux sous les frondaisons. Je n'ai plus qu'envie de douceur et je pense à vous mes amis que j'ai laissés si loin... Je suis bien. Mais l'heure avance et il est hors de question que je rentre de nuit. Il faut que je reparte.
Devant mon scooter, je prends cette photo

de moi, avec sur mon front, les traces de mon passage dans "l'au-delà". Je me fais rire toute seule. Les passants me regardent faire sans comprendre. Allez, en selle et à demain. Je pense qu'après cette tranche d'érudition, je vais vous emmener au marché aux poissons... Cré vingt dieux!
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